Thèses du Parti Ouvrier Communiste Russe: Les traits particuliers de la crise actuelle du capitalisme et leur spécificité en Russie


V.A. Tioulkine, premier secrétaire du CC du Parti Communiste Ouvrier Russe - Parti Révolutionnaire des Communistes (POCR-PRC), M.V. Popov, professeur de l’Université d’Etat de Saint-Pétersbourg, docteur en sciences philosophiques.

I. A propos de la théorie générale des crises

1. Les causes des crises sont enracinées profondément dans la véritable nature du capitalisme, dans sa contradiction essentielle – entre le caractère social croissant  de la production et la forme privée de la propriété et d’appropriation qui, dans la recherche du profit – conduit à l’anarchie de la production. Ceci signifie, que la cause substantielle des crises réside dans la contradiction entre le travail et le capital; nous visons avant tout la contradiction entre la finalité de la production capitaliste, c'est-à-dire la production d’un excédent de valeur et le travail socialisé des ouvriers, des travailleurs directement employés dans la production et la reproduction. L’objectif de la production capitaliste est l’extraction de la plus-value. La production capitaliste est dominée par l’anarchie et les antagonismes, qui nous mènent à une expansion illimitée de la production capitaliste. Les rapports capitalistes et le but de la production capitaliste même deviennent un obstacle pour la tendance à la croissance illimitée de la production.

Avec l’anarchie de la production sous le capitalisme, de temps à autre, une partie du capital accumulé (en biens, en moyens de production et financiers) ne peut être employée comme moyen d’exploitation, procurant un profit additionnel. Alors là se produit une interruption et ensuite une diminution de la production, etc., là apparaît une crise de surproduction. Il est impossible d'éviter les crises sous le capitalisme. Leur origine est expliquée par les processus décrits ci-dessous.

 

2. La principale contradiction du capitalisme, mentionnée ci-dessus, amène chaque capitaliste à augmenter son offre sur le marché, alors que se réduit la demande des moyens de production et, parmi les travailleurs, la demande de biens de consommation avec la diminution des revenus. Dans toute forme de capitalisme, avec des intervalles dans le temps, ceci conduit à des crises de surproduction.

 

3. Le capitalisme, comme nous le savons, est un système économique universel basé sur la marchandise, développé dans la mesure où pour s’accroître ce système utilise la force de travail comme une marchandise. La force de travail est un ensemble de réserves physiques et spirituelles qui sont employées lors de la production de matières ou d’autres valeurs. C’est une espèce spéciale de marchandise, qui peut être employée pour créer une plus grande valeur qu'elle-même.

 

4. En raison de la disposition chaotique de l’économie capitaliste basée sur la marchandise, même si les salaires des ouvriers étaient réglés au coût complet de leur force de travail (ce qui arrive rarement), tôt ou tard le volume des marchandises produites excédera la demande. La majeure partie de la demande est celle de la majorité de la population, c'est-à-dire les ouvriers, l’autre partie est la demande des entrepreneurs capitalistes en moyens de production. Ici intervient la crise. Ainsi le capitalisme, étant un système économique basé sur la marchandise dès son origine, porte les crises en son sein.

 

5. Ce fait a été particulièrement remarqué dans les premières éditions du Programme du Parti ouvrier de la social-démocratie de Russie (Bolchevique) et du Parti communiste de Russie (Bolchevique). [1]

« La principale caractéristique d’une telle société est la production pour le marché sur la base des relations de production capitalistes, par lesquelles la plus large et la plus importante partie des moyens de production et d’échange des marchandises appartiennent à une classe numériquement réduite de la population, tandis que l’écrasante majorité est constituée de prolétaires et de travailleurs qui, dans leurs conditions économiques, sont obligés continuellement ou périodiquement de vendre leur force de travail, de se louer aux capitalistes et, par leur labeur, de créer les revenus pour l’aristocratie de la société…

De plus, les mêmes progrès techniques permettent aux entrepreneurs d’employer à une plus grande échelle le travail des femmes et des enfants dans le processus de production et d’échange des marchandises. D'autre part, les perfectionnements techniques conduisent à une réduction de la demande des entrepreneurs de la force humaine de travail; la demande de force travail est nécessairement à la traîne derrière l’offre et il y a en conséquence une plus grande dépendance du travail loué au capital et une exploitation accrue du premier par le dernier.

Un tel état de choses dans les pays bourgeois, tout aussi bien que la compétition toujours accrue parmi ces pays sur le marché mondial, rendent les ventes de biens, produits dans de plus en plus grandes quantités, toujours plus difficiles. La surproduction, qui se manifeste elle-même dans les crises industrielles plus ou moins intenses – qui, à leur tour, sont suivies par des périodes plus ou moins prolongées de stagnation industrielle – est la conséquence inévitable du développement des forces productives dans la société bourgeoise. Les crises et les périodes de stagnation industrielle, à leur tour, tendent à appauvrir encore davantage les petits producteurs, à accroître encore davantage la dépendance des travailleurs employés par le capital et à accélérer encore davantage la relative, parfois l’absolue, détérioration de la condition de la classe ouvrière.

Ainsi, le progrès technique, signifiant une productivité accrue du travail et la croissance de la richesse sociale, devient dans la société bourgeoise la cause des inégalités sociales accrues, du profond abîme entre les riches et les pauvres, d’une plus grande insécurité de l’existence, du chômage, et de privations nombreuses pour des masses de plus en plus larges de travailleurs. »

 

6. Nous devons particulièrement remarquer que, en tant que marchandise, la force de travail n’est pratiquement jamais, nulle part, pas même dans les pays les plus développés, rétribuée à son coût complet, c'est-à-dire pleinement en tant que salaire. Le coût de la force de travail est déterminé suivant des moyens requis pour normalement reproduire (en rapport avec le niveau de développement et du progrès technique, culturel et le niveau de lutte de la classe ouvrière) et développer les capacités physiques et spirituelles du travailleur et de sa famille. Nous devons remarquer que cela fut intuitivement compris par les représentants les plus progressistes de la classe bourgeoise. Par exemple, l’éminent organisateur de la production, le père du travail à la chaîne, Henry Ford, disait : [2]

« Vous payez l’homme pour son travail, mais combien doit-il à son foyer ? Combien à sa place de citoyen ? Combien à sa position de père ? L’homme effectue le travail à l’atelier, mais sa femme l’effectue à la maison. L’atelier doit les payer tous les deux. Dans quel mode de calcul la famille trouvera-t-elle sa place dans le coût de la journée de travail ? … En se soutenant lui-même ainsi que les membres de sa famille, en les habillant, en les logeant, en les éduquant, en leur donnant les avantages liés à leur mode de vie, le travailleur a-t-il encore droit à un surplus sous forme d'épargne ? Et tout cela est-il pris en compte dans le coût de la journée de travail ? Je suppose que oui. »

Ford ne se souciait manifestement pas beaucoup de la justice sociale ; Il estimait essentielle une forte demande des consommateurs pour la production et il considérait l'éventualité des luttes sociales comme un grand danger pour le capitalisme. Néanmoins, sa position était tout à fait progressiste non pas seulement pour les normes de la première moitié du 20° siècle, mais, sur plusieurs plans, pour notre époque.

Ce qui a été compris par certains est considéré d’une manière totalement différente par les représentants typiques de la classe bourgeoise. On le voit dans l’exemple de la Russie d’aujourd’hui : le salaire moyen en 2008 (niveaux d’avant la crise) était d'environ 16 000 roubles (400 euros) par mois, alors que le coût de la force de travail est estimé entre 160 000 et 240 000 roubles (selon la région, le type de travail et le nombre d’enfants). En d’autres termes, le salaire aujourd’hui est de 7 à 10 % du coût de la force de travail.

 

7. C'est un fait établi que l’ouvrier crée la valeur de sa force de travail pendant le temps nécessaire, tandis que le reste de la journée, le temps excédentaire, il travaille pour le capitaliste, créant la plus-value, qui deviendra alors une partie de la masse des marchandises, qui par l'arrangement chaotique de l’économie capitaliste peut rester de temps en temps sans demande correspondante. Un excellent exemple du calcul du taux d'exploitation auquel sont soumis les travailleurs, basé sur des statistiques datant de 1908, est donné par V.I. Lénine dans un article intitulé « Salaires des ouvriers et profits des capitalistes en Russie ».

Comparons les salaires des ouvriers et les profits capitalistes. Chaque ouvrier reçoit, en moyenne, 246 roubles par an, mais il apporte au capitaliste un profit moyen de 252 roubles par an.

« Il s'ensuit que l’ouvrier travaille pour lui moins de la moitié de la journée et plus de la moitié de la journée pour le capitaliste. Si, par exemple, nous prenons la journée de travail de 11 heures comme moyenne, il s'avère que l’ouvrier ne reçoit un salaire que pour 5 heures ½ seulement et même un peu moins. Pendant les autres 5 heures ½ l'ouvrier travaille gratuitement, sans recevoir aucun salaire, et toute la production de l'ouvrier pendant cette demi-journée constitue le profit des capitalistes. » [3]

La théorie de Marx sur l’inévitable crise de surproduction est expliquée avec plus de détails dans l’ouvrage de V.I. Lénine « Développement du capitalisme en Russie ». [4] Lénine remarque que la thèse de Marx que « la raison finale de toutes les crises réelles reste la pauvreté et la consommation limitée des masses, en opposition avec la tendance de la production capitaliste de développer les forces productives, comme si la capacité absolue de consommation de la société constituait sa plus extrême limite » est vraie inconditionnellement, mais ce n’est pas tout. Pour le marché intérieur, le rôle des moyens de production est incomparablement plus élevé que le rôle des produits de consommation. L’analyse des lois de la circulation du capital fixe montre aussi l’inévitabilité des crises capitalistes.

 

8. Ainsi nous soulignons encore que dans le processus de la reproduction capitaliste spontanée, il arrive inévitablement, à certains intervalles réguliers, des moments où la demande solvable de biens et moyens de production est quelque peu en retard sur la masse disponible de marchandises et services. Alors les crises arrivent. L’autre question est : comment est déterminé l'intervalle entre les crises et est-il possible de les réguler ?

II. Certaines mesures capitalistes pour stabiliser la situation et pour reporter les prochaines crises.

9. Les théoriciens d’aujourd’hui du camp des apologistes capitalistes déclarent qu’ils ont trouvé les voies pour éviter les crises au travers d’une économie capitaliste de marché autorégulante, organisée au niveau de l’Etat.

Les plus célèbres mesures dans cette direction sont les tentatives de Roosevelt de surmonter la Grande Dépression et ce qui est connu comme le Keynésianisme. Toutes ces mesures sont analysées tout à fait profondément dans la théorie communiste et il est prouvé sans équivoque que les manières de sortir des crises, tout aussi bien que les prétendues périodes sans crise sont liées aux formes les plus sophistiquées d’aggravation de l’exploitation des travailleurs.

Pour soutenir les arguments en faveur de l’efficacité de ces mesures, ils disent que des secousses plus profondes que la crise économique mondiale 1929-1933, ne se sont plus produites après la Seconde Guerre mondiale. Le capitalisme a-t-il réellement trouvé un modèle de régulation sans crise et quels nouveaux outils sont utilisés pour reporter les crises ?


10. Il nous faut insister sur le fait que c'est le socialisme ou plutôt son influence pour être plus précis, qui a permis à l’impérialisme d'assouplir ou de reporter les crises ordinaires. La présence d’un solide camp socialiste, avec à sa tête l’Union soviétique, les réalisations exceptionnelles du socialisme dans le domaines des droits sociaux des travailleurs ont obligé les capitalistes, afin d’éviter la montée du mécontentement des travailleurs dans les pays capitalistes développés, d’augmenter ce qu’ils payaient pour le travail, et d’investir considérablement dans le développement des droits sociaux, de l’éducation, de la santé, du progrès scientifique et des innovations techniques, pour introduire des éléments de  régulation étatique en économie et ainsi de suite.


11. Une nouvelle invention des capitalistes, vivre en s’endettant, a été tout à fait efficace. Il s'agit pour chacun de vivre partout, à tout moment, à crédit, sur une large échelle. Cela ne concerne pas seulement des citoyens individuels, mais des sociétés et même des Etats. Au lieu de rémunérer les travailleurs de la valeur complète de leur force de travail, sa majeure partie est versée sous forme de prêts avec des taux d’intérêts remboursables par la suite. Ainsi la société semble vivre à l'aise, la demande tient le rythme, mais la dette enfle de plus en plus, jusqu'à une certaine limite.


12. Avec le développement du progrès scientifique et technique et la croissance des forces productives, la distribution de la richesse produite a été extrêmement inégale. Et cette disproportion s'est aussi accrue à l'échelle internationale. Dans son ouvrage « L’impérialisme stade suprême du capitalisme » Vladimir Lénine a montré que « le capitalisme s'est transformé en un système universel d'oppression coloniale et d'asphyxie financière de l'immense majorité de la population du globe par une poignée de pays "avancés"... le capitalisme a assuré une situation privilégiée à une poignée... d'Etats particulièrement riches et puissants, qui pillent le monde entier par une simple "tonte des coupons"[5]. »   Mais les riches demandent de plus en plus. La seconde moitié du 20e siècle a assisté à un bond dans l’accumulation de la richesse à travers le capital financier généré par la bourse des valeurs avec une variété toujours croissante des stocks d’actions (actions, titres, obligations, obligations au porteur, obligations d’Etat, etc.)

Ne croyons pas qu'il s'agisse de quelque chose de nouveau par principe. Friedrich Engels a écrit dans le Supplément au Capital Volume III:

« Mais cette accumulation augmentait également la masse des rentiers, des gens qui, lassés de la tension constante du monde des affaires, n'aspiraient plus qu'à s’amuser ou à occuper des postes de tout repos, de directeur ou d'administrateur de société. Enfin, on fonda partout où cela n'existait pas encore, et en vue de faciliter l'investissement de la masse flottante de capital‑argent, la nouvelle forme légale des sociétés à responsabilité limitée, et les engagements des actionnaires qui, jusque‑là, avaient eu une responsabilité illimitée furent plus ou moins réduits...

Suit une transformation progressive de l'industrie en entreprise par actions...

La même chose vaut pour le commerce...

De même pour les banques et les autres établissements de crédit...

De même dans le domaine de l'agriculture...

Enfin tous les investissements à l'étranger se font sous forme d'actions. » [6]

Une grande diversité de formes parasitaires d’existence a été suscitée au 20e siècle et davantage au 21e siècle. Le degré de leur perfection intellectuelle et technique peut même susciter l'admiration. Mais elles font toutes partie de ce que les classiques appelaient auparavant au 19e siècle une « masse de personnes qui en ont assez de travailler tout le temps ».

Les stocks de papiers qui étaient supposés refléter le réel coût de production ont été gonflés dans la tourmente du marché. Parfois leur indice s'est réduit, mais à long terme il a grimpé davantage.


13. Il faut remarquer spécialement que dans ce processus de croissance économique, le capital a impliqué avec succès de nombreux travailleurs, petits indépendants et employés petit-bourgeois. Evidemment la propagande de la classe dirigeante a joué un rôle énorme dans ce processus – qu’ils pouvaient rêver de devenir riches un jour, s’ils ont de la chance – la propagande qui développe le culte de la consommation. Le président russe Vladimir Poutine, parlant des résultats de 2005, a montré une grande satisfaction au sujet des records franchis dans la capitalisation de l'économie de la Russie, comme étant les plus élevés dans le monde et s’élevant à 80% annuellement. Les citoyens ont été invités à participer à cet investissement prometteur dans l’économie via des fonds mutuels variés. C’est la bulle financière qui a commencé avec la participation directe des autorités.


14. Avec le développement des technologies de l’information, l’expansion des bulles financières, ne représentant pas de valeur réelle, est devenue particulièrement intensive. Mais nous avons atteint maintenant le stade où la population ne peut plus payer ses dettes et ses achats essentiels. Nous voyons l'éclatement de la bulle, une nouvelle vague de panique, et le processus qui croit rapidement, s’étendant à la fois géographiquement et au sein de la structure sociale de production (au départ des banques et des finances vers la production réelle).


15. A nouveau nous devons souligner que le principal élément dans la crise de surproduction est préservé jusqu’à notre époque – le pouvoir d’achat de la population a été nettement plus faible que l’offre disponible.

III. Traits spécifiques de la crise en Russie

16. Les spécificités de la Russie sont avant tout caractérisées par le fait, que le capitalisme russe, pénétrant déjà le stade de l’impérialisme – n’a que récemment quitté le stade de l’accumulation initiale du capital. La principale manière de la formation des capitaux en Russie a été le vol déguisé en privatisation – privatisation d'immenses quantités créées par le travail de plusieurs générations du peuple soviétique sous le socialisme. Ils ont ont même brisé les lois qui autorisent la privatisation – c'est-à-dire le vol -, car ces lois ne satisfaisaient pas leurs désirs de tout privatiser. Les crimes et la corruption sont inhérents à tout capitalisme. Le capitalisme russe a pris un caractère encore plus criminel et pilleur. Ce qui est confirmé par les faits cités ci-dessous.


17. Le sous-paiement de la force du travail en Russie est énorme: le salaire moyen est environ de 7 à 10 % du coût de la force de travail. Ces conditions ont été imposées aux travailleurs par la classe ennemie dans les conditions d'un faible développement du mouvement syndical et la limitation des opportunités légales de leurs luttes sous contrôle policier permanent du régime. Donc le sous- développement de la lutte économique est à présent une des principales raisons des bas salaires en Russie.


18. La majorité absolue des capitalistes russes ne se conforment pas aux normes techniques nécessaires de reproduction du capital de base ; ils ne prévoient pas de budget pour remplacer l’équipement tombé en désuétude, etc., ni pour le renouvellement et le développement des moyens de production. Pratiquement ces moyens sont transformés en profits des propriétaires hors de l'économie (profits détournés vers l'étranger, salaires pour les hauts cadres, bonus etc.). C’est pourquoi les moyens nécessaires pour la reproduction de base (même pas étendue) sont sortis du cycle de production.

Pour comprendre à combien elle s’élève, référons-nous aux statistiques officielles qui estiment les actifs fixes de production en Russie au début de 2008 à 60,4 milliards de roubles, alors que le taux moyen pour le renouvellement des actifs fixes en 2007 s’élève, selon le type d’activité économique, de 1,9 % (production d’énergie électrique) à 6,6 % (production de matières premières). Auparavant, à l’époque de l’Union soviétique, le taux pour le renouvellement des actifs fixes de production était d’au moins 13 %. Ainsi le sous investissement dans l’économie réelle liée au renouvellement de l’équipement tombé en désuétude, sans même parler des investissements pour la croissance économique, s’élève annuellement à au moins 6 milliards de roubles. C’est une des raisons du nombre accru de milliardaires (en milliards de dollars US) en Russie, particulièrement durant le règne de Poutine (de 13 en 1999 à 100 en 2008). D’un côté, le mépris pour les lois de la reproduction du capital essentiel conduit à la réduction de la charge sur les actifs russes de production, à la diminution du nombre d’emplois, qui à leur tour ont réduit les sommes d’argent que pouvaient obtenir autrement les travailleurs et ainsi créer la demande. De l’autre côté, cela conduit à la dégradation des capitaux essentiels et des technologies, et en premier lieu, de l’industrie de pointe. C’est pourquoi les volumes de la production réelle et les salaires ont chuté.


19. Un nouveau processus, peu étudié, spécifique pour les conditions de la Russie, a été l’injection dans le marché d’énormes quantités d’articles qui n’étaient pas des marchandises sous le socialisme: les fonds d'investissements pour la production, l’immobilier, les maisons et appartements, la terre, les forêts et ainsi de suite. Ils ont été transformés en marchandises sans être le fruit du travail contemporain, ce qui a conduit à un surplus énorme d’argent dans l’économie russe, concentré dans les mains du camp des riches. Des programmes tels que la « propriété accessible » ont été présentés à la population, alors qu’en fait elle était de plus en plus inaccessible. (Les prix sont maintenant deux fois plus élevés que le niveau de 2007-2008 à Moscou et Saint-Pétersbourg, s’élevant respectivement à 7000 et 4000 dollars le m2).


20. Selon les aveux même des autorités actuelles, la Russie d’aujourd’hui connaît un niveau extrêmement élevé de corruption (selon certaines évaluations, le chiffre d’affaire de la corruption s’élève à plus d’un tiers du budget de l’Etat). Cette redistribution souterraine des ressources monétaires, à son tour, renforce le dérèglement de la balance en faveur du camp des riches. 

Ainsi quand les actuels apologistes du capitalisme déclarent que la crise que nous traversons est absolument nouvelle dans ses caractéristiques, que cette sorte de crise était auparavant inconnue, que celle-ci est principalement une crise financière et qu’il n’y aurait prétendument pas de surproduction et ainsi de suite, nous devons donner la réponse claire que ce n’est pas vrai. Il y avait un déficit véritable d’argent, en d’autres termes, il n’y avait pas de demande solvable pour une large partie de la population, permettant une reproduction acceptable, alors que le capitalisme russe connaissait une demande anormalement basse en moyens de production.

C’était la raison du début de la crise. Elle a commencé par l’éclatement de la bulle financière aux Etats-Unis et la panique qui a suivi. Le fait que l’économie de la Russie était grandement basée sur les matières premières, la chute des prix du pétrole et d’autres matières premières, les dettes extérieures énormes des sociétés privées (plus de 500 milliards de dollars US à la fin de 2008) ont aggravé ce processus. En raison du crash du marché des valeurs, trois fois plus sévère en Russie qu’aux Etats-Unis (de 75 % en mars 2009), des énormes dettes de pétrole et de matière premières, des énormes dettes de crédit des sociétés privées, pris sous forme d’emprunts à terme sur des titres des entreprises perdant leur valeur, le processus d’acquisition ultérieure de l’économie nationale par un capital transnational plus fort est possible. Il est improbable que ce processus entraîne une production de haute technologie, de matière premières ou d’une industrie de transformation ou de construction de machines.

Cela suggère que la situation sera utilisée pour faire disparaître les concurrents et pour consolider la dépendance envers les sociétés multinationales pour les matières premières et le pétrole. D’un point de vue scientifique, répétons-le, nous avons affaire à une crise ordinaire de surproduction capitaliste à l’époque de l’impérialisme.

IV. Qui devra payer ? (La crise à vaincre et les positions opposées des communistes et des opportunistes).

21. Prévoir les détails et la profondeur de la crise est une tâche très difficile. Cela dépend de nombreuses circonstances. Cependant, la direction globale de la politique bourgeoise est tout à fait claire. En premier lieu, les gouvernements bourgeois feront tous les efforts pour éviter la responsabilité de l’aggravation de la crise, en la faisant porter par certains boucs émissaires réels ou artificiels. Ils ont déjà trouvé et cibleront des fraudeurs financiers, des responsables des structures bancaires, coupables d’erreurs majeures. Le grand Capital est prêt à sacrifier tout nom ou autorité, pour détourner la responsabilité du capitalisme lui-même, le système social de production basé sur la forme de la propriété privée d’appropriation.

Ensuite, ils ont présenté et présentent encore des dizaines de mesures, plans d’action et modèles supposés « changer » le système existant, histoire de modifier quelque chose, mais rien de fondamental, de sorte que l’essence, les fondements du système capitaliste, demeure inchangée.

Il est absolument clair que la bourgeoisie fera tout pour faire porter le fardeau de la crise sur les épaules des travailleurs. Il y a deux tactiques, connues dans de telles conditions, dans l’histoire et la pratique du mouvement communiste. Durant les crises, la tendance opportuniste cherche à calmer la situation et adopte ce qu'elle appelle une « position patriotique responsable », essentiellement en alignant sa politique avec les autorités régnantes, en sauvant les entrepreneurs intérieurs et le marché intérieur, en appelant le peuple à faire preuve de la patience nécessaire, d’être sensible à la responsabilité, de ne pas déstabiliser les choses, afin de surmonter dans le monde entier les moments difficiles.

Certainement, les opportunistes doivent soutenir dans le gouvernement de nombreuses revendications progressistes, telles que l’introduction de mesures de régulation étatique, y compris des nationalisations partielles, en conservant le soutien social des chômeurs, des travailleurs et des citoyens. Toutefois, ces mesures sont contradictoires dans leur caractère et servent le principal objectif – empêcher de larges manifestations des travailleurs et la réduction des profits capitalistes.

La Russie a connu un exemple récent d’une telle coïncidence dans les intérêts de l’opposition parlementaire opportuniste et le gouvernement bourgeois. En 1998, durant la crise économique en Russie, le gouvernement a eu recours à une défaillance, en provoquant ainsi la dévaluation du rouble selon un rapport de 4. Au même moment, les protestations croissantes des travailleurs revendiquaient le paiement des arriérés de salaires, qui s’élevaient à des milliards de roubles. L’étendue et le radicalisme des protestations ont dépassé tout ce qu'on avait vu dans l’histoire moderne de la Russie. Les protestations ont pris des formes telles que le blocus des routes et des chemins de fer, y compris le chemin de fer transsibérien, et elles étaient même appelées « la guerre du rail ».

Au plus fort de la confrontation, le gouvernement des jeunes réformateurs, dirigé par le premier ministre Sergueï Kiryenko, a été viré et tenu pour responsable de toutes les fautes dans la gestion économique. Evgueni Primakov, un vieux cadre de Gorbatchev, a été nommé premier ministre. Il a proclamé une orientation « patriotique et nationale » pour sauvegarder l’économie de la patrie, et a été soutenu par l’opposition parlementaire, y compris par le Parti Communiste de la Fédération de Russie (PCFR), qui a envoyé son représentant Youri Maslyukov au gouvernement.

Le résultat: ce prétendu « gouvernement de la confiance populaire » a rempli les trous des milliards de salaires non payés par des roubles dévalués, a étouffé les protestations populaires, a aidé la classe au pouvoir et l’ensemble du système bourgeois à vaincre les crises par le second plus grand (après 1992) pillage du peuple dans l’histoire contemporaine de la Russie. La dévaluation (division par quatre) du rouble russe a servi quelque peu à activer l’industrie russe. Dès la période la plus critique de la crise  passée (août 1998 à mai 1999), le « gouvernement de la confiance populaire » a démissionné, ayant remplit sa fonction. Le ministre des affaires intérieures, Sergey Stepachine, a été nommé premier ministre (de mai à août 1999), et ensuite il a été remplacé par Vladimir Poutine, le directeur du Service Fédéral de Sécurité. Ainsi nous voyons un exemple classique de la manière dont les fardeaux de la crise ont été placés sur les épaules des travailleurs, avec l’aide de cette opposition prétendument patriotique, en réalité opportuniste.

Aujourd’hui cette histoire se répète : de nouveau on entend les appels à une opposition responsable, pour un consensus national, pour la coordination de toutes les forces, ainsi que quelques nouvelles nominations dans l'équipe économique et financière du gouvernement, etc. Cette ligne est d’une manière ou l'autre soutenue par l’aile opportuniste du mouvement de gauche. Là, on formule divers conseils au gouvernement parmi un large éventail de mesures constructives, de « l'émission d'obligations d'un emprunt d'Etat anti-crise, qui peuvent être achetées par tous ceux qui le souhaitent (avec achat obligatoire par les porteurs capitalistes) » à « une réelle opulence est nécessaire dans le processus politique, les autorités devraient rejeter la pression administrative, et les élections devraient prendre leur fonction initiale - une comparaison des programmes politiques et la possibilité pour les citoyens d’exercer librement leur volonté ». Au vu de tout ce qui est réalisé, selon la vision des dirigeants du PCFR [7], « …on peut parler d’une certaine forme de coopération et de réalisation de mesures anti-crise. »

La tâche des communistes orthodoxes et leur tactique dans la période de la crise est principalement différente. La tâche des communistes n'est pas de chercher à atténuer la situation, mais d’utiliser la situation pour l’explication des véritables causes de la crise et de propager le développement d'un maximum  de luttes de la classe ouvrière elle-même. Les demandes des communistes devraient, d’un côté, contenir des propositions pour réduire la pression sur les intérêts sociaux et économiques de la classe ouvrière et, de l’autre côté, ces propositions devraient diriger la résistance pour la conquête de davantage de liberté dans la lutte, quand le capitalisme s’affaiblit.

La tâche minimum des communistes est de faire sortir la classe ouvrière de la crise plus organisée, plus unie et plus combative qu’à l’époque d'avant la crise. Dans une conjoncture favorable, la crise peut se transformer dans certains pays en une situation révolutionnaire et les communistes doivent être prêts pour cela et ne pas craindre eux-mêmes ni effrayer les masses travailleuses par le danger d’une explosion sociale. Comme Lénine l’écrivait : « Celui qui lutte d’une façon réelle, lutte naturellement pour tout ; celui qui préfère plutôt conclure une affaire, indique naturellement à l’avance les miettes, avec lesquelles il va se satisfaire lui-même dans le meilleur des cas (dans le pire des cas il est même satisfait par l’absence de lutte, il se réconcilie pour longtemps avec les dirigeants du vieux monde)… » [8]


22. Aujourd’hui, plusieurs dirigeants du mouvement de gauche défendent la thèse que le système mondial capitaliste s’est finalement écroulé, que les conclusions tirées par la communauté internationale sur la crise conduiront à la formation d’un monde totalement différent, qui ne sera plus le capitalisme, mais un monde plus rationnel, plus parfait et juste et que la tâche des communistes est d’aider ce processus, de demander un progrès dans cette direction etc. Par exemple, Guenady Jouganov, le Président du PCFR, a dit ceci à la conférence de presse du 9 avril 2009: « Ceci est une crise du système capitaliste dans sa globalité. L’issue de cette crise est seulement possible dans la direction socialiste. Mais si les politiciens les plus prévoyants et les spécialistes les plus capables de l’Occident ont déjà compris cela et qu'ils prennent des mesures correspondantes au niveau de l’Etat, dans nos structures du pouvoir (en Russie), ce sujet est même hors discussion ». On doit noter que nous n’avons jamais entendu de semblables déclarations chez les dirigeants des partis communistes occidentaux au sujet de l’orientation socialiste de leurs gouvernements nationaux.

Nous ne sommes pas seulement en désaccord, mais nous nous opposons radicalement à de tels propos. Les ressources du capitalisme sont loin d’être épuisées à l’échelle mondiale et dans les différents pays. De plus, nous devons avouer maintenant que l’une des ressources majeures du capitalisme actuel, c'est à dire de l’impérialisme, est la puissante et sordide vague d’opportunisme dans le mouvement de gauche. L’impérialisme lui-même a une expérience et des moyens énormes de contrôle des processus de formation de l’opinion publique. Les capitalistes ont toujours soutenu et soutiendront ceux des partis politiques qui, dans leurs noms et leur propos, ressemblent à des organisations révolutionnaires. Ils soutiendront leur lutte contre les organisations marxistes véritables. De manière figurée, si la situation empire, les capitalistes eux-mêmes lèveront le drapeau rouge et chanteront « l’internationale » (ils peuvent suivre des précepteurs parmi les opportunistes, qui connaissent les paroles de l’hymne prolétarien, on en trouve facilement) et ils diront, qu’ils construisent un socialisme moderne du XXI° siècle.

Ainsi aujourd’hui, dans les conditions de la crise actuelle, quand les communistes élaborent leurs tactiques d’organisation de la lutte contre l'impérialisme et contre ses défenseurs et acolytes, les paroles prophétiques de Lénine sont toujours  actuelles : « Les plus dangereux à ce niveau, sont les gens qui ne veulent pas comprendre que la lutte contre l’impérialisme n'est qu'une phrase vide si elle n’est pas étroitement reliée à la lutte contre l’opportunisme. » [9]


[1]

[2]

[3]

[4]

[5]

[6]

[7] La Pravda n°85, 8 août 1912.

[8]

[9] Lénine, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Préface aux éditions française et allemande.